Vivre dans un climat tempéré tend à éliminer les excuses pour quitter l’appartement et faire de l’exercice en raison du temps médiocre. Depuis que j’ai déménagé à Nice, j’essaie de profiter du climat agréable pour faire plus de marche aérobique—mes « marches rapides, » comme je les appelle parfois en sortant de chez moi. Le meilleur itinéraire que j’ai trouvé pour cela est de monter la Colline du Château depuis le port de Nice, puis de redescendre du côté opposé, pour arriver au pied de la Tour Bellanda, une ancienne tour défensive devenue aujourd’hui un site touristique prisé, offrant depuis son sommet des vues splendides sur la ville, le Port et la Baie des Anges.
J’ai fait cette promenade de nombreuses fois, en m’arrêtant souvent dans le parc au sommet de la colline pour boire un peu d’eau ou même un café avant de redescendre. Du printemps à l’automne, mon itinéraire de retour me conduit généralement de la Tour Bellanda à travers la Vieille Ville, en empruntant la rue Droite, puis en traversant la Promenade du Paillon (un parc aménagé sur la rivière couverte du Paillon), en direction de notre appartement, situé dans le quartier de Carabacel.
Cet itinéraire permet d’éviter le Cours Saleya, un quartier souvent encombré, aménagé autour de l'ancien Marché aux Fleurs de Nice, dont les nombreux étals de fleurs, nourriture, boutiques, cafés et restaurants attirent une foule immense de touristes pendant une grande partie de l’année. Un matin ensoleillé de fin de printemps, cependant, j’ai remarqué qu’il y avait relativement peu de monde—il devait être encore assez tôt—et j’ai traversé le marché, le trottoir devant moi dégagé et le soleil dans mon dos.
C’est alors que mon ombre m’a parlé.
J’ai baissé les yeux et j’ai remarqué, distraitement, le mouvement d’une ombre—quelqu’un qui marchait avec une démarche que je ne reconnaissais pas. En l’observant, j’ai lentement réalisé que c’était moi, c’était ma propre ombre—et pourtant elle semblait étrangère, à part, distincte, inconnue. Je ne l’ai pas reconnue même après avoir réalisé qu’il s’agissait de mon propre reflet ombragé. C’était la silhouette sombre d’un homme âgé, dont la démarche trahissait une douleur ou une blessure, ou peut-être simplement le prix naturel du vieillissement. Je me suis arrêté et j’ai réfléchi un instant, comme si j’essayais d’accepter que mes observations étaient réelles, puis j’ai repris ma route, incapable de détacher mon regard de l’ombre qui me précédait. La malaise de ses mouvements persistait, même lorsque j’essayais d’en modifier.
Il y a des façons de l’expliquer, je suppose : des blessures à la hanche après un accident de vélo, l’usure corporelle ordinaire qui survient après plus de sept décennies de vie. Mais le manque initial de reconnaissance, suivi de la prise de conscience qui m’est venue lorsque mon ombre m’a parlé, était déconcertant. Ce sentiment persiste depuis.
Je ne sais pas ce qui est le plus inquiétant : la conscience de moi-même qui m’est venue dans un murmure, ce matin ensoleillé, ou le fait que c’était une ombre qui détenait plus de savoir que moi.
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