Siqal, l’antre de l’ogresse est bien plus qu’un conte. C’est un chant incantatoire puisé aux sources de l’imaginaire tunisien, nourri des récits de grand-mères et des terreurs enfantines. Mouha Harmel nous offre ici un chef-d’œuvre de narration illustrée, où l’on suit Emna, l’aînée des sœurs, engagée dans une quête initiatique pour sauver sa cadette, Leyla, des griffes d’une ogresse venue des confins cosmiques. À travers les paysages du désert, les souks et les zaouïas, se déploie un univers mystique où l’on croise un chien ressuscité, des chants berbères, et des figures féminines aussi fortes que vulnérables. Le roman interroge subtilement les rapports de pouvoir, la mémoire, la famille et le poids du destin. La plume de Harmel, poétique, vibrante, fait écho aux textes sacrés autant qu’aux récits populaires. Le rythme est soutenu, les illustrations de Lassaad Ben Alaya subliment le texte et en révèlent toute la noirceur onirique. C’est un conte de feu, de chair, et de silence, qui saisit le lecteur à la gorge et l’entraîne dans une nuit sans fin, au cœur de l’ogresse. À lire à haute voix, comme une veillée sacrée.

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Dans La Danse des pères, Max Lobe compose une fresque familiale intime et flamboyante, mêlant humour, douleur et profondeur historique. Le narrateur, Benjamin, exilé à Genève, convoque le souvenir de son père camerounais, figure à la fois tendre, tyrannique, rieuse et brutale. C’est à travers le filtre de la mémoire, des gestes quotidiens, des chansons makossa et de la langue métissée que surgit le portrait d’un homme plus grand que nature, mais aussi enfermé dans ses propres rigidités. Le roman excelle dans l’art du contrepoint : les scènes comiques croisent les tragédies intimes, les souvenirs de danses joyeuses côtoient les silences d’un rejet viscéral. Benjamin, homosexuel rejeté par son père, entame une quête identitaire et mémorielle bouleversante. À travers une narration rythmée et chantante, entre contes, orature et autofiction, Max Lobe interroge ce que signifie hériter, aimer, pardonner, sans jamais sombrer dans la caricature ni la facilité. Ce texte profond et nécessaire célèbre aussi les corps qui dansent, les voix ancestrales et les mémoires qui survivent. Un grand roman sur la filiation, la mémoire postcoloniale et l’amour en héritage.

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Dans Les silences de Pietrasecca, Alexandre Bertin signe un premier roman d’une rare intensité, mêlant enquête intime et mémoire politique. On y suit Lorena, militante féministe dans l’Italie des années 1970, alors qu’elle découvre que sa vie repose sur un mensonge : elle a été adoptée, née d’un viol, et élevée par un couple lié au passé fasciste du pays. Ce bouleversement l’amène à plonger dans l’histoire familiale, mais aussi dans celle d’une nation où la mémoire peine à se dire. Le roman, d’une grande finesse narrative, explore les zones d’ombre de l’après-guerre, les silences collectifs et les blessures féminines encore vives. Bertin réussit à tisser un récit haletant et profondément émouvant, porté par une langue juste et incisive. Il interroge avec brio l’héritage, la filiation et les tabous historiques, tout en donnant une voix puissante à celles qu’on a trop longtemps réduites au silence. À la croisée de l’intime et du politique, Les silences de Pietrasecca est un roman nécessaire, troublant et inoubliable.

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"Histoire de Gênes" de Fabien Levy nous plonge dans l’épopée fascinante d’une cité qui, loin de l’image figée d’une république médiévale, invente les formes premières du capitalisme mondial. Portée par un réseau dense de marchands, banquiers et explorateurs, Gênes devient dès le XIVᵉ siècle une puissance paradoxale : sans véritable empire territorial, mais omniprésente par ses capitaux et ses navires. Levy restitue avec brio la complexité de cette ascension : instabilité politique, individualisme civique, guerres civiles… rien n’annonçait pourtant son éclat du XVIᵉ siècle. En liant les transformations institutionnelles à la dynamique des marchés, l’auteur décrit un basculement profond : celui d’un monde encore médiéval vers une logique globalisée, articulée autour de la finance, des échanges intercontinentaux et des logiques de profit. C’est toute l’originalité de cette œuvre : faire sentir, derrière les tours des palais génois et les galères de guerre, le souffle premier du capitalisme. Un ouvrage rigoureux, richement documenté, mais aussi accessible, à lire pour tous ceux qui veulent comprendre l’origine des grandes dynamiques économiques qui nous façonnent encore.

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"Armer la rage" de Marie-Pier Lafontaine est un texte foudroyant. Dans ce manifeste littéraire où l’écriture se fait gantelet, l’autrice mêle mémoire traumatique, pensée féministe et geste réparateur. Réactivée par une agression dans le métro, sa parole explore la violence incestueuse de l’enfance et la sidération post-traumatique. En convoquant les théories de Caruth, Root, Brown ou Dufourmantelle, Lafontaine déconstruit les normes psychiatriques du trauma pour en proposer une lecture politique. Elle forge une "littérature de combat", nécessaire, qui ne s’excuse pas d’être brutale, intense, douloureuse. La langue est sèche, frappante, comme une série de coups portés au coeur de la culture du viol. En affirmant que chaque prise de parole est une manière de se défendre, Lafontaine redonne aux survivantes une dignité. Ce livre, à la fois essai-théorie et récit de combat, est un électrochoc. Il ne laisse pas indemne. Il faut le lire comme on entre sur un ring : prêt à recevoir, mais surtout à comprendre que la colère peut sauver.

Essai féministe fulgurant, "Armer la rage" explore le trauma et l’écriture comme outils de survie, de justice et de transformation politique.

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Terres et Liberté est une salve collective face à l’amnésie écologique contemporaine. Dirigé par Fatima Ouassak, ce manifeste antiraciste fait entendre des voix plurielles – philosophes, militants, artistes – unies dans un même refus : celui de l’écologie blanche, neutre et dépolitisée. Ici, la terre n’est pas seulement ressource, elle est lieu de mémoire, d’ancrage, de lutte. Chaque contribution dévoile une autre manière d’habiter le monde : ensemencée par la pensée de Frantz Fanon, nourrie des luttes panafricaines, habitée par l’exil et les fractures géographiques. Qu’il s’agisse de sculptures en glaise ou de maquis militants, ce livre tisse une écologie de terrain, traversée de récits, d’archives et d’émotions. Radical sans être hermétique, poétique sans perdre sa rigueur, Terres et Liberté s’adresse à celles et ceux qui veulent respirer, vivre et lutter dans un monde menacé par l’extractivisme et les logiques coloniales. Plus qu’un ouvrage théorique, il s’agit d’un appel à la désobéissance fertile. Un livre-levain pour les consciences insurgées.

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Envie de vous laisser surprendre par un récit qui explore les lueurs intimes de l'existence ? Alors, ce voyage est pour vous. Plongez dans "Souvenirs de la maison de l’aube" de Guylian Dai, une œuvre présentée comme l'empreinte d'une recherche où la fiction sert de détour pour explorer la puissance des éléments intimes et extimes. Nous y rencontrons Ilhan, dont le quotidien minuté est soudainement ébranlé par un rêve intense et singulier, le laissant au bord d'un abîme et face à des "moi" figés.

Ce rêve agit comme le révélateur d'une profonde insatisfaction et d'un besoin impérieux de s'affranchir. La routine, le travail, les attentes sociales (incarnées par le personnage de Leutorc) semblent soudain dénués de sens face à cette nouvelle perception d'une réalité plus vaste et désordonnée. Ilhan est entraîné dans un cheminement intérieur inattendu, fait d'errances, d'intuitions et d'accueils surprenants. Il redécouvre l'importance de l'intimité au rêve, du jeu, de la lenteur, et les liens invisibles qui nous rattachent aux autres, même les plus inattendus, comme l'énigmatique Auguste, figure de liberté et de révolte.

Ce livre est une offrande à la possibilité de nos aubes, une invitation à écouter l'obscurité pour y déceler les premières lueurs. Ilhan cherche son chemin au-delà des certitudes rassurantes, des rôles préétablis, et des peurs de l'abîme. Il s'agit d'une quête de "devenir" plutôt que "d'accomplir", une recherche nécessaire qui ne vise pas le succès mais l'ouverture à la disponibilité. Laissez-vous porter par cette exploration poétique de la mémoire, de l'identité, et de l'audace de se réinventer face au trouble et au manque.

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"Apologie" de Michel Maffesoli est présentée comme une autobiographie intellectuelle, mais se veut avant tout une autojustification de son parcours et de son œuvre. Loin d'être une simple chronologie, le livre est une exploration des idées, des rencontres et des controverses qui ont nourri sa pensée sur soixante ans.

Maffesoli s'y décrit comme un penseur "de travers", à l'écart du conformisme dominant, cultivant l'anomie non comme transgression mais comme une manière de ruser avec la loi. Il met en avant ses admirations pour des maîtres comme Gilbert Durand et Julien Freund, et des figures comme Abélard ou Carl Schmitt, tout en relatant ses polémiques avec le milieu universitaire.

Les thèmes centraux de son travail sont réaffirmés : l'importance de la vie quotidienne, la prévalence de l'imaginaire face au rationalisme excessif, et le retour du sacré dans les sociétés postmodernes. Il développe l'idée du tribalisme comme idéal communautaire, basé sur l'être-ensemble et les vérités plurielles (relativisme), en opposition aux grands récits et à la Vérité unique.

Le livre est aussi une critique virulente du "scientisme" et de la bureaucratisation de l'université, plaidant pour la neutralité axiologique du chercheur et le courage intellectuel. "Apologie" offre ainsi un éclairage personnel sur les fils conducteurs de sa pensée, depuis l'ancrage dans la sagesse populaire jusqu'à l'analyse des transmutations épochales.

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